Chroniques anachroniques – Au poil !

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

La tendance actuelle de la jeunesse militante est de se laisser pousser les poils : le naturel de la pilosité devient une revendication de liberté, voire d’identité. Les recherches archéologiques actuelles, pourtant aux marges de la Romanité, à Wroxeter (cité de la taille de Pompéi), à l’Ouest de Birmingham, ont mis au jour une collection impressionnante de pinces à épiler dans un complexe thermal. Sa réouverture récente permet d’apprécier à quel point l’être humain a très tôt souhaité se départir de ses poils. Dans sa célèbre lettre 56, Sénèque livre une évocation haute en couleurs et en son de l’épilation à Rome.

Ecce undique me uarius clamor circumsonat : supra ipsum balneum habito. Propone nunc tibi omnia genera uocum, quae in odium possunt aures adducere : cum fortiores exercentur et manus plumbo graues iactant, cum aut laborant aut laborantem imitantur, gemitus audio, quotiens retentum spiritum remiserunt, sibilos et acerbissimas respirationes ; cum in aliquem inertem et hac plebeia unctione contentum incidi, audio crepitum inlisae manus umeris, quae prout plana peruenit aut concaua, ita sonum mutat. Si uero pilicrepus superuenit et numerare coepit pilas, actum est. Adice nunc scordalum et furem deprehensum et illum, cui uox sua in balineo placet : adice nunc eos qui in piscinam cum ingenti impulsae aquae sono saliunt. Praeter istos, quorum, si nihil aliud, rectae uoces sunt, alipilum cogita tenuem et stridulam uocem, quo sit notabilior, subinde exprimentem nec umquam tacentem, nisi dum uellit alas et alium pro se clamare cogit :  iam biberari uarias exclamationes et botularium et crustularium et omnes popinarum institores mercem sua quadam et insignita modulatione uendentis.

Me voici au milieu d’un vrai charivari. Je suis logé juste au-dessus d’un établissement de bains ; et maintenant représente-toi tout ce que peut la voix humaine pour exaspérer les oreilles. Quand les champions du gymnase s’entraînent en remuant leurs haltères de plomb, quand ils peinent ou font comme s’ils peinaient, je les entends geindre ; chaque fois qu’ils renvoient le souffle retenu, ce sont des sifflements, un halètement des plus aigres. Si je suis tombé sur quelque baigneur passif qui ne veut rien de plus que la friction populaire, j’entends le bruit de la main claquant sur les épaules avec un son différent, selon qu’elle arrive à creux ou à plat. Mais qu’un joueur de balle survienne et se mette à compter les points qu’il fait, c’est le coup de grâce. N’oublie pas le chercheur de querelles, le filou pris sur le fait, l’homme qui trouve que dans le bain il a une jolie voix. N’oublie pas la piscine et l’énorme bruit d’eau remuée à chaque plongeon. Outre ces gens qui, à défaut d’autre chose, ont des intonations naturelles, figure-toi l’épileur poussant d’affilée un glapissement en fausset, afin de signaler sa présence, et ne se taisant que pour écorcher les aisselles et faire crier un autre à sa place. Puis, c’est le marchand de boissons avec ses appels sur diverses notes, le marchand de saucisses, le confiseur et tous ces garçons de taverne qui ont chacun pour crier leur marchandise une modulation caractéristique.

Sénèque, Lettres à Lucilius, tome II, Lettre 56,
texte établi par F. Préchac et traduit par H. Noblot,
Paris, Les Belles Lettres, 1993.

Pourquoi s’épiler ? Pour des raisons d’hygiène (les poux et les puces…), de pureté religieuse (voir les prêtres égyptiens…), de normes de beauté ou de signes identitaires.
Comment s’épiler ? Avec des pinces à épiler, des pierres ponces, un rasoir, de la cire d’abeille ou à base de sucre. Pire ! Les femmes grecques allaient jusqu’à se brûler les poils pubiens à la flamme d’une lampe à huile !
Qui s’épilait ? Les femmes grecques, pour éviter de ressembler aux hommes (la plaine bien épilée permet d’identifier la Béotienne au début de Lysistrata d’Aristophane, quand l’héroïne s’efforce de reconnaître ses compagnes) ; les hommes romains, notamment les jambes, pour se distinguer des Barbares mais aussi avant l’exercice physique de la lutte ; les femmes romaines, épilation du maillot, des jambes ou intégrale, pour des questions d’esthétique et de séduction. Cette pratique épilatoire appartenait à l’ensemble des soins proposés aux thermes. Bien que la pince à épiler soit d’un usage commun, l’épilation nécessitait ustensiles et personnel.
Il faut parfois vraiment souffrir pour être beau !

Christelle Laizé et Philippe Guisard

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